Les 9 Niveaux de Description Fonctionnelle
Relaxation et Observation.
S.Pucelle -
"La relaxation est la voie, l'observation est la clé de la pratique” - Santi Prasad.
Si l'on examine la trajectoire du yoga en général, il se présente comme un mouvement vers l'intérieur, un retrait de la périphérie vers le centre. Dans les différentes expressions du yoga, telles que le Jnana Yoga (voie de la connaissance), le Laya Yoga (voie de la dissolution), le Raja Yoga (voie royale) ou le Hatha Yoga (exercices de posture/respiration), pour ne citer que ces exemples, on observe une forme d'involution ou, du moins, une recherche d'équilibre entre notre monde intérieur de perception et le monde phénoménal extérieur.
Dans le yoga postural, cela se produit par l'interaction entre les sensations grossières et subtiles, pondérée par un moment d'immobilité. Le yin yoga encourage l'introspection, la lenteur, l'abandon et la contemplation, des qualités qui convergent dans la recherche de l'absorption, incarnée par la relaxation et l'observation.
Au-delà de l'impact mécanique et anatomique de la pratique du Yin sur le corps, le pratiquant entretient une certaine sensibilisation, soit directement sur la respiration, soit en choisissant une sensation émergeant de l'Asana. La sensation physique implique très probablement un contenu émotionnel qui, à son tour, a pour racine la pensée et l'intention. Par l'application d'une relaxation continue du corps et le développement d'une observation objective, le mouvement intérieur du yoga promet un voyage transpersonnel.
Cette approche met l'accent sur la relation sujet-objet et sur la prise de conscience que "je ne suis pas ce que je peux observer".
La relaxation joue un rôle central dans l'autorégulation, en permettant à l'auteur d'une pensée, d'un sentiment ou d'une sensation de prendre du recul et de s'observer. Dans cette configuration, le sujet reste celui qui connaît, mais il n'est pas limité ou défini par ces expériences.
Ce processus permet une érosion progressive des couches d'identification, dépouillant ce que nous ne sommes pas et nous rapprochant de notre véritable nature.
En résumé, nous pourrions dire que cette auto-pédagogie se déroule en deux étapes :
1. Intériorisation, favorisée par la qualité de la relaxation.
2. Le retrait de notre attention, vers notre psychologie intime et un espace de sensations physiques élargi.
Les 9 Niveaux de Description Fonctionnelle
La première fois que j'ai rencontré une pédagogie articulée de l'introspection, c'était dans l'enseignement de Paul Grilley, qui définissait le rôle de la pratique posturale comme un “rendez-vous” avec le corps en tant que véhicule d'introspection. Alors déjà, il parlait des 9 niveaux de conscience ou des 9 niveaux de description fonctionnelle pointant le doigt sur le oeur.
En pratique ce voyage intérieur peut commencer en déplaçant notre attention du grossier au subtil. En déplaçant notre observation des sensations physiques vers la psychologie, nous ouvrons un dialogue au sein du complexe corps/esprit.
La liste progressive des neuf niveaux de description fonctionnelle commence par les os, les tissus conjonctifs et les muscles, qui correspondent aux aspects mécaniques du corps.
Nous passons ensuite à la physiologie du corps, en nous concentrant sur le système vasculaire, le système nerveux et la respiration.
L'aspect énergétique de notre être est appréhendé à travers le Qi / Prana (énergie vitale).
La dernière étape couvre notre psychologie à travers les émotions et le mental.
Conseils relatifs à la conscientisation fonctionnelle
Le yoga, en tant que science, propose une approche systématique. La pratique est un moment privilégié pour cultiver notre sens de l'introspection. La liste ci-dessous n'est pas exhaustive, mais elle contribuera à une progression successive en affinant la qualité de la connexion du complexe corps/esprit. Inspirée de la célèbre classification séquentielle des huit membres de Sri Patanjali (Ashtanga Yoga), cette liste commence par un champ d'expérience physique évident, puis s'affine à chaque étape, pour enfin passer à la sphère de la conscience par la connaissance.
Les Os : La masse dense et rigide du squelette est sans aucun doute un moyen d'accès immédiat. Les 14 segments squelettiques permettent d'attirer facilement l'attention sur les différents points de compression pendant l'asana. Les points de compression les plus courants se situent au niveau des articulations des hanches, mais il est plus facile de ressentir une compression sur des articulations plus petites, comme les segments lombaires ou les épaules.
Une autre façon d'entrer en contact avec les os est de sentir leur poids en éprouvant le squelette dans son ensemble pendant Shavasana ou en se concentrant sur le poids de la tête ou d'une partie spécifique du squelette.
Les Tissus Conjonctifs : Un changement significatif du squelette vers les tissus conjonctifs se produit lorsque nous portons notre attention sur les articulations du corps. Les tissus conjonctifs les plus denses, tels que les ligaments, les capsules articulaires, le cartilage, les tendons et le fascia, sont principalement situés autour des articulations (sauf dans le cas du fascia, que l'on trouve dans tout le corps). Nous faisons directement l'expérience de ces tissus, en particulier dans les premiers instants, lorsque nous sortons de la posture et que nous nous installons dans le rebond. Ainsi, il est important de noter la différence subtile entre la sensation d'étirement des muscles et la traction des tissus conjonctifs, permettant une meilleure prise de conscience de la structure du corps.
Les Muscles : Ce niveau de perception est peut-être le plus apparent car les muscles sont situés à la surface du corps, par opposition aux os et aux tissus conjonctifs. Les muscles sont facilement perçus lors de la contraction et de la relaxation, ainsi que lors de la résistance à l'étirement pendant une pose. Tous les groupes musculaires ont été définis dans le cadre de l'approche fonctionnelle (voir article Yin Yoga & L’approche fonctionnelle).
Système Vasculaire - Rythme Cardiaque : Nous passons à la physiologie du corps et améliorons le niveau de syntonie (intégration), cardiaque et émotionnelle. Il est possible de sentir les battements de cœur virtuellement partout dans le corps, par exemple dans les artères principales, radiales et fémorales, ou directement au centre de la cage thoracique où se trouve le cœur, et encore dans l'abdomen lorsque nous sommes allongés en position ventrale face à au sol. Le lien avec les battements du cœur apporte une qualité apaisante lorsque l'attitude est détendue, agissant comme un dispositif naturel de biorétroaction (application de la psychophysiologie).
Système Nerveux-Proprioception : Cela correspond à notre capacité à déterminer l'emplacement de notre corps et de ses différentes parties dans l'espace, ce qui nous aide à évaluer la force musculaire dans le mouvement et les capacités de coordination. Ceci sera plus manifeste dans une forme de yoga Yang, mais n'oubliez pas que l'approche fonctionnelle est pertinente pour toutes les formes de yoga.
Dans le Yin Yoga, nous nous éloignons naturellement du système nerveux central pour nous référer aux réseaux de distribution du Qi/Prana.
Dans ce contexte, cela correspond à un équilibrage entre le système nerveux parasympathique/sympathique. Qui se traduira par une diminution de la quantité ainsi que de l'intensité des informations provenant du monde extérieur via le système nerveux pour se brancher sur nos ressentis intérieurs et notre psychologie. Le changement d'attention, et par extension d'être, est particulièrement intéressant en raison de sa similitude avec le processus de sommeil sur la conscience.
Le Souffle : La respiration est largement utilisée dans le yoga comme médiateur entre le corps et l'activité mentale. Les différentes formes de pranayama maintiennent l'attention du pratiquant à ce niveau de conscience en fonction du lieu, du rythme et de la durée (Patanjali 2.50). Ainsi, ce sutra définit toutes les techniques respiratoires par l'inhalation, l'expiration et la suspension.
Puis, dans le sutra suivant (Patanjali 2.51), il mentionne une quatrième phase de la respiration qui se situe au-delà des trois premières.
Si nous revenons à notre attitude vis-à-vis du processus respiratoire, nous pouvons adopter une attitude plus volontaire à son égard, comme décrit ci-dessus. Nous utilisons les différentes modalités de la manipulation du souffle. Par exemple la respiration diaphragmatique a une qualité complémentaire à la pratique du Yin. Nous pourrions dire qu'il s'agit d'une approche Yang au sein d'une pratique Yin.
Une intention plus passive à l'égard de la respiration consiste à permettre à l'asana de modifier la respiration tout en maintenant une simple position d'observation. C'est ce que l'on appelle le Yin dans le Yin.
Si nous pouvons définir ces deux approches apparemment opposées, l'étape suivante consiste à jouer avec les modalités de l'approche Yang pour influencer le résultat du moment Yin.
Qi-Prana : Le Qi/Prana est la force vitale qui imprègne notre monde physique et émotionnel et, dans une certaine mesure, la sphère mentale. Cependant, elle est généralement moins évidente et nécessite des qualités de relaxation et de calme plus étendues.
Le Dr Motoyama faisait une distinction entre les énergies Ki/Qi et Psi, ou bio-énergie et bio-psychokinèse, tout en établissant une échelle entre ces deux types d'énergie. Le rebond de la pratique est le moment clé dans la progression graduelle de l'immobilité détendue et de ses effets. Notre corps énergétique est accessible pendant le rebond, où l'on peut expérimenter directement le Qi en se désengageant de la posture. Le rebond est souvent vécu comme une expansion des limites du corps physique. Ce processus est à la fois involontaire et naturel ; la question qui se pose alors est de définir si l'on peut s'y référer consciemment ou non.
Le corps énergétique, est un aspect profond de notre être, il abrite sept chambres qui stockent le prana. Ces régions, connues des pratiquants sous le nom de chakras, ne sont pas seulement des lieux physiques, mais des portes d'accès à notre voyage spirituel. Les yoginis et yogis, dans leur quête de réalisation du Soi, se concentrent sur un ou plusieurs chakras liés à la manifestation du prana, une approche systémique qui ouvre la voie à la libération et à la réalisation (voir Le Guide du Yogi pour la Méditation des Chakras).
Par ailleurs, il est à noter qu'il est possible d'utiliser l'ancienne carte Jing-Luo/méridiens pour influencer la régulation et la réharmonisation qui se produisent après le rebond.
Les Émotions : La dimension psychologique la plus délicate dans cette approche fonctionnelle de la conscience. Les émotions sont toujours présentes dans leurs formes essentielles lorsque nous exprimons une réponse positive, neutre ou négative à une expérience, une sensation ou un sentiment. Notre environnement affecte notre contenu psychologique de la même manière que notre posture physique influence notre physiologie.
Comprendre nos réponses émotionnelles pendant un cours de yoga est une partie cruciale du processus ; ce n'est pas le corps physique ou les sensations qu'il éprouve qui constituent les principaux obstacles. Ce sont plutôt nos émotions qui jouent un rôle important dans la formation de notre sentiment d'identité. Dans un premier temps, la désidentification passe par l'observation de nos états émotionnels et l'établissement d'une certaine distance entre nos sentiments et notre identité subjective.
Dans ce contexte, il existe un état au-delà de notre psychologie conventionnelle, impartial et sans coloration affective, qui permet aux yoginis et yogis d'observer la nature du contenu émotionnel afin d’en discerner le pathos. Notre voyage commence par une prise de conscience de l'atmosphère de la salle, de l'impact du discours de l'enseignant, de sa voix et, surtout, de notre propre état de satisfaction, de désintérêt ou de déception. La distance entre le contenu émotionnel et l'expérience apporte les qualités de ralentissement nécessaires à un sentiment d'émancipation et de clarté dans l'espace que nous occupons.
L'Esprit-Pensée : L'autre facette de notre psychologie est l'insaisissable Citta-vritti, plus connue sous le nom de bavardage mental. Dans cette activité mentale constante, chaque pensée, sentiment et réaction aux sensations physiques se manifeste, laissant une empreinte à la surface de notre conscience qui subsistera dans notre banque de mémoire.
Le mental est une entité complexe, l'ultime enchevêtrement du Soi par l'identification. Il peut être un obstacle, mais il a aussi le potentiel de nous libérer de nos conditionnements. Notre capacité à différencier le contenu des pensées qui favorisent le calme et la tranquillité de celles qui alimentent le désir et la réaction serait un moyen d'entrée judicieux.
Une approche pragmatique consiste à développer un point d'ancrage en utilisant un support pour les pensées tout en canalisant systématiquement leur flux vers ce même support. Cela permettra au pratiquant d'ouvrir progressivement l'espace de l'observateur puis, par la répétition, de s'y établir.
La stabilité de cette nouvelle configuration n'éradique pas les commentaires incessants de l'esprit, mais elle en réduit l'influence et l'identification.
Ce processus requiert de la patience et de l'endurance ; trouver un support simple comme la respiration et se repositionner sur une sensation subtile mais tactile offre la possibilité de calmer l'activité mentale. Une fois l'esprit pacifié, il devient possible de développer la concentration et le discernement.
Le yoga vise à contrôler les citta-vrittis dans un ralentissement de l’activité mentale tout en renforçant la conscience du Soi et la capacité à expérimenter la réalité telle qu'elle est.
Conclusion : Selon l'intention, il est possible de limiter la pratique ou l'enseignement à un seul niveau de cette description fonctionnelle ou de travailler sur chacun d'entre eux de manière séquentielle.
Chaque niveau d'entrée est un champ d'exploration unique, la qualité de l'interoception évoluant à chaque étape. Cette progression affine notre sens de la perception interne, aiguisant notre capacité à nous concentrer sur la subtilité de l'information. Au fur et à mesure que l'objet de notre attention se précise, le champ d'information s'élargit, mais notre stratégie et notre attitude ne varient pas.
Il n'est pas inutile de rappeler que toutes les sensations, les sentiments et les pensées sont transitoires. En apprenant à discerner leur contenu, nous pouvons distinguer ce qui est bénéfique ou détrimental à notre bien-être. En fin de compte, nous pouvons devenir de simples observateurs à toute forme de stimulus.
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